Quand mes mains se sont refermées

UNE VIE D’ÉPREUVES ET DE MIRACLES

João da Encarnação

7/9/20252 min temps de lecture

J’avais seize ans. C’était la Fête du Travail, le 1er mai. Nous étions aux fontaines d’Estômbar, une source naturelle où les familles aiment passer la journée. Ce jour-là, on célébrait deux anniversaires : celui de ma grand-mère maternelle, et celui de la femme qui travaillait chez nous. Mes parents lui avaient offert un emploi – à elle et à son mari – après avoir appris qu’ils vivaient tous les deux, avec leurs enfants, dans une voiture, à la rue. Ils leur avaient trouvé une maison. Ils leur avaient donné une dignité.

Nous étions donc réunis là, entre amis, famille et employés. Le soleil brillait, l’atmosphère était légère, joyeuse. Mais à l’intérieur de moi, tout était sombre.

Depuis des semaines, j’étais en chute libre. J’avais compris que j’étais homosexuel. Et je savais ce que cela voulait dire, dans mon monde : décevoir mes parents, devenir un poids, une honte. Mon père, en particulier, exprimait une homophobie assumée, brutale. Comment allais-je pouvoir vivre avec cela ? Comment pourrais-je un jour être accepté ?

Alors, dans un moment de douleur absolue, j’ai pris la voiture de mon père et je suis parti. Je roulais sans but, sur une route secondaire. Mon intention était claire : trouver un camion en sens inverse, tourner le volant d’un coup, et en finir. Mourir. Disparaître. Libérer tout le monde du fardeau que j’imaginais être.

Mais soudain, quelque chose d’inattendu s’est produit. Mes mains se sont refermées sur le volant. Littéralement. Je ne pouvais plus les bouger. Ni la droite, ni la gauche. Elles étaient comme paralysées. Je tirais, je forçais, mais rien n’y faisait. C’était comme si une force invisible me retenait.

Je ne pouvais plus manœuvrer, plus freiner correctement, plus rien. Alors j’ai simplement arrêté d’accélérer, et j’ai laissé la voiture glisser doucement sur le bas-côté, sans clignotant, sans rien. Le moteur s’est éteint tout seul. Et moi, j’étais là, figé, mains prisonnières, cœur en vrac.

Ma famille, entre-temps, s’était rendu compte de ma fuite. Ils m’ont retrouvé peu après. Et lorsque leur voiture s’est arrêtée près de la mienne, mes mains étaient toujours fermées sur le volant. Ce n’est que quand je les ai vus, que j’ai senti leur présence, que mes mains se sont enfin ouvertes. Libérées.

C’était surnaturel. Ou sacré. En tout cas, réel.
Et c’est à ce moment-là que j’ai compris : le problème n’était pas en moi.
Je n’étais pas une erreur. Ce sont les autres qui devaient apprendre à aimer. À évoluer. À comprendre que la différence n’est pas un défaut.

J’ai réalisé que peut-être, j’étais la preuve que mon père devait affronter. Que Dieu m’avait envoyé dans sa vie pour bousculer ses certitudes, pour l’obliger à aimer un fils gay, et ainsi à revoir tout ce qu’il croyait savoir. Que ma sexualité, loin d’être une malédiction, avait un but.

Depuis ce jour, jamais plus je n’ai voulu mourir. J’ai compris que la vie me voulait vivant. Que je n’étais pas seul. Que des forces m’accompagnaient, même quand tout semblait perdu.

Et ce qui me frappe encore aujourd’hui, c’est que pendant que ma famille célébrait la vie, les anniversaires, la joie… moi, je m’effondrais silencieusement. Et pourtant, j’ai été sauvé.
Je n’étais pas là pour détruire des liens, mais pour briser des dogmes, secouer des structures humaines, et rappeler une chose simple et essentielle :
l’amour vrai n’a pas peur de la vérité.